La belle et son prince pas charmant
Julian avait grandi et rêvait désormais de devenir pirate de l'espace - on se demandait s'il avait vraiment grandi, en fait.
En tout cas, du jour au lendemain, il se désintéressa totalement de Cyrielle. Finies les étreintes fougueuses, oubliés les baisés passionnés! Il lui portait désormais autant d'intérêt qu'à la chaîne météo.
Julian ne se désintéressait pas pour autant des femmes, des vraies : la preuve par le puits à souhaits!
Comme à son habitude, le puits lui envoya une mocheté mais, n'ayant rien de mieux à se mettre sous la dent, notre bourreau des coeurs dut s'en contenter.
Furieuse, Cyrielle attrapa du saumon dans le frigo et passa sa colère en le coupant sauvagement en tranches. Elle avait invité le proviseur de son lycée dans l'espoir d'entrer dans une école privée et ainsi rentrer moins fatiguée des cours. Elle se débrouilla toute seule pour préparer le dîner. Au moins, ça la faisait penser à autre chose qu'à cet enfoiré de Julian.
Le proviseur fut inpressionné tant par la maison - qui à mon goût ressemblait un peu trop à un musée, et me rappelait même mon ancienne galerie de tableaux - que par le repas et la petite fut acceptée en école privée.
Puis l'élixir de vie exauça enfin mes prières en emporta Abdel, et avec lui sa sale tronche et son vilain pyjama. Noémie se garda d'aller supplier la Faucheuse, toute heureuse qu'elle était de se débarrasser enfin de ce mari encombrant. En fait, elle ne bougea même pas un orteil et Abdel s'en alla comme il était venu : sans être aimé de personne.
Les jours passèrent et Cyrielle fêta enfin son anniversaire, regagnant ainsi un peu d'intérêt aux yeux de Julian. Je veux dire, littéralement, puisqu'il lui matait les fesses.
Cyielle ne cachait pas sa joie d'être enfin passée au stade adulte : fini le lycée, finis les devoirs à faire, finis les jobs ingrats payés deux sous de l'heure! Elle allait enfin pouvoir mener sa vie comme elle l'entendait, se trouver un boulot dans lequel elle allait pouvoir progresser, ou bien ne rien faire du tout et vivre au crochet de ses parents, au choix! Tiens d'ailleurs, en parlant de ses parents, la vie s'apprêtait à être vraiment vache avec eux.
Vraiment, vraiment vache. Comme notre plante carnivore, qu'ils avaient encore oublié de nourrir, et qui avala Karelle en une seule bouchée.
Sa mère partie tragiquement, Cyrielle était inconsolable. C'était difficile d'ignorer quelqu'un qui pleurait aussi fort, si bien que Julian finit par se rappeler qu'elle existait.
Pas moche la demoiselle en détresse, se dit-il. Il se rappelait soudain pourquoi il avait été attiré par elle quand ils étaient ado. Elle était vraiment mignonne, bon, à part les fringues, mais sinon, pas mal du tout. Et elle avait aussi l'air beaucoup plus mature que la dernière fois qu'ils s'étaient roulés une pelle.
" Ça va aller Cyrielle, tu n'es pas seule ..." susurra-t-il. Et il fut très satisfait de voir un sourire se dessiner sur son joli visage. Il était la raison de ce sourire, il en était convaincu. Il lui avait toujours plu, il le savait. Elle était comme une pomme mûre tombée de l'arbre et il n'avait qu'à se baisser pour la cueillir.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, Julian se répandit soudain en excuses.
" Je suis vraiment bête de t'avoir laissée tomber Cyrielle, dit-il à voix basse, comme pour donner un ton dramatique à son discours. Je suis allé voir ailleurs alors que j'avais une beauté en face des yeux ..."
Avec ses mains entortillées, il jouait à la perfection le mec maladroit qui a des regrets. Foutaises. Mais il était bon comédien, il fallait le reconnaitre. Et l'effet fut immédiat : Cyrielle retomba follement amoureuse de son rouquin.
Cela faisait à présent plusieurs jours que le couple roucoulait tranquillement, et Julian rêvait qu'il en fusse ainsi jusqu'à la fin de leurs jours. Qu'ils puissent se bécoter tranquillement, ici, dans cette chambre, à l'abri des regards. Et ne l'avoir que pour lui. Il était tellement heureux. Mais Cyrielle ne voyait pas les choses sous cet angle. Elle regardait régulièrement son annuaire gauche nu comme un vers d'un air dépité, se demandant si son mec comptait bientôt faire d'elle une femme honnête, ou si elle devait encore s'attendre à être jetée comme un vieux tas de feuilles mortes dans la poubelle à compost.
Question avenir, Julian était tout sauf pressé. Noémie semblait même s'en inquiéter et faisait tout pour lui mettre la pression.
" Il faut te trouver du travail, Julian! le bassinait-elle, alors qu'elle-même n'avait jamais levé le petit doigt de sa vie, tout lui ayant été apporté sur un plateau d'argent. Tu ne peux pas vivre ici éternellement, on est trop nombreux, ce n'est pas propice à une vie de famille, et tu sais combien je voudrais des petits-enfants ..."
Toujours le même discours. Julian devait résister à l'envie de se boucher les oreilles et de chanter super fort pour ne plus avoir à l'entendre.
Il était très heureux comme il était. Peindre lui apportait une joie immense, mais ses chefs d'oeuvre ne se vendaient pas vraiment à prix d'or, et il n'aurait pas pu subvenir à ses besoins en gagnant si peu d'argent. Cyrielle n'ayant pas de travail non plus, comment est-ce qu'ils feraient pour se payer une maison??? Même si, en soi, l'idée de ne plus avoir à supporter sa mère et ses deux demi-frères était assez séduisante, il n'était pas encore prêt à assumer la responsabilité qu'exigent un travail régulier et le paiment d'un loyer.
Cyrielle, de son côté, n'était pas très créative. Son truc, c'était plutôt le social. Du coup, pour tromper son ennui de jeune femme insouciante, elle préférait s'en remettre au puits à souhaits.
Son désir de se faire des amis était insatiable. Elle rêvait d'en avoir au moins une bonne vingtaine. Facile, avec le puits qui lui fourguait trois pecnauds du quartier par jour, se liant instantanément d'amitié avec elle. Si mes calcules sont justes, ce serait réglé en à peine une semaine.
Ce qu'elle n'avait pas prévu, et qui n'était pas pour lui déplaire, c'était que Julian deviendrait le pire des jaloux. Avoir tous les jours à la maison des espèces de voyeurs qui mataient SA Cyrielle en nuisette, ne plus avoir l'impression de la posséder, comme si elle faisait sa vie à elle indépendemment de la sienne, était plus qu'il n'en pouvait supporter.
A contre-coeur, il lui offrit ce qu'il la savait désirer par dessus tout : une bague de fiançailles. Une preuve qu'il la voulait à ses côtés pour le restant de ses jours. Qu'il ne la laisserait plus tomber et n'irait plus voir ailleurs. En échange, il espérait qu'elle se recentrerait sur lui et qu'elle n'appellerait plus les bouffons du coin pour assouvir ses besoins d'intéractions sociales. Il la voulait pour lui tout seul.
Enfin il franchit le pas, se dit Cyrielle. Pas trop tôt! Les discours de sa mère sur l'engagement avaient du avoir raison de lui, finalement. Elle se tâta le ventre d'aise. Maintenant qu'elle avait eu la bague, manquait plus que ce dernier s'arrondisse!