Jolie petite histoire
Loïc n'en pouvait plus. Kea l'avait plaqué, il avait même pas de quoi se payer un jardinier et en plus un loup squattait régulièrement son jardin plein de mauvaise herbe. C'en était trop!
Mais un jour, le sort cessa finalement de s'acharner sur lui et sur son jardin.
Ce fut le jour où Clarisse Dubois passa devant son porche et croisa son regard.
La petite, ignorant que sa vie s'apprêtait à en être irrémédiablement chamboulée, alla se présenter à Loïc. Depuis l'incident Kea, plus personne dans le quartier n'adressait la parole à ce trouduc'. J'en déduisis que Clarisse venait tout juste d'emménager. Elle me rappelait moi à son âge. Naïve et prête à tout pour se sortir de la mouise. Ce qu'elle savait pas non plus, c'était que Loïc était en réalité sans emploi et sans le sou.
Mais ce dernier n'était pas totalement idiot : il savait parfaitement pourquoi la jeune fille feignait de s'intéresser à lui et n'allait pas laisser passer une si belle occasion. Il lui raconta qu'il pesait à lui seul plusieurs millions de simflouzes, sans préciser que par fierté, il n'osait pas réclamer ce pactole à ses frères, et que les membres de sa famille étaient tous des gros bourgeois prétentieux avec un balais coincé dans le derrière, ce qui était tout aussi faux. Y'avait même des moments, comme quand Rosie rejoignait Arthur dans le transat', où je regrettais d'avoir quitté ma tombe.
Cependant, il n'en fallut pas plus à Clarisse pour tomber dans le piège : un millionnaire célibataire qui lui tendait les bras et aucune obligation de plaire à la belle-famille, c'était presque trop beau pour être vrai. Et en réalité, ça l'était.
Loïc, lui, était aux anges. Il n'avait pas été aussi heureux depuis avant son mariage avec Kea. Et pour une fois, c'était lui qui dupait la gent féminine et non l'inverse. Il prenait enfin sa revanche. Du moins, c'était ce qu'il croyait.
Le lendemain matin il n'aurait qu'à feindre d'aller travailler en attendant qu'elle s'en aille, et ensuite il ne répondrait plus à ses appels, ni quand elle viendrait sonner à sa porte. Et le tour serait joué. Loïc jubilait rien qu'en imaginant la tête de la pauvre fille se rendant compte qu'elle avait été pigeonnée.
Seulement voilà : Clarisse n'était pas aussi stupide qu'on aurait pu le croire : depuis plusieurs semaines, la jeune fille prenait un traitement pour booster sa fertilité. Tout ce qu'elle avait eu à faire ensuite avait été de trouver un pigeon assez gras pour pouvoir l'héberger et l'entretenir. Et pour obliger un sim à la loger et la nourrir gratuitement jusqu'à la fin de sa vie, rien de tel que de lui faire un enfant!
Et à ce propos, la belle ne tarda pas à déambuler dans le salon de Loïc avec un beau ventre arrondi.
Loïc n'était pas si mécontent de s'être fait avoir. Sa vie d'adulte touchait déjà à sa fin et tout ce qu'il avait, c'était 1000 pauvres simflouzes sur son compte en banque, une famille qui ne lui parlait plus et un gosse adopté qui le détestait. Avoir un enfant à lui ne serait peut-être pas une mauvaise chose.
Si y'en avait un qui le prenait mal, c'était Charles. Le petit n'avait jamais été aussi en rogne contre son père et piqua une crise nerfs terrible. Mais qu'importait, personne ne s'intéressait à lui de toute manière. Et bientôt, quand Clarisse accoucherait, il ferait carrément partie des meubles.
Ce qui ne tarda pas à arriver. Clarisse mit au monde une petite fille : Laura.
Au début, c'était si simple. Un bibi toutes les trois heures, en tenue sexy pour montrer qu'elle avait retrouvé sa ligne, un câlin et hop, au dodo. Et ensuite, la paix jusqu'au prochain bibi. C'était beaucoup moins contraignant que ce qu'elle avait pensé. Dire qu'on lui en avait fait tout un fromage, de la maternité. Ça compensait un peu la déception qu'elle avait eue en réalisant que le compte en banque de Loïc peinait à aligner quatre chiffres.
Loïc, de son côté, ne s'occupait jamais de sa fille, mais avait l'air heureux d'en avoir une. Sa peur d'engendrer des monstruosités génétiques semblait s'être estompée. Elle n'aurait pas du. Charles, lui, avait grandi, était devenu obèse, détestait toujours son père ...
... ainsi que faire ses devoirs ...
... et son seul ami était son cousin Guillaume, qui faisait de temps en temps l'effort de quitter sa maison luxueuse et sa petite copine pour venir traîner avec lui.
Sans oublier que, conséquence de son refus à faire ses devoirs, il était en échec scolaire.
Ah oui, et il était aussi loin d'être beau que moi d'être en chair et en os (en chair tout du moins).
" Cendrillon, pour ses trente ans, est la plus triste des mamans " comme disait Jean-Louis Aubert. Cette chanson semblait avoir été écrite pour Clarisse. Plusieurs semaines après la naissance de Laura, elle était retombée enceinte et avait accouché d'un petit Nicolas. Bibis fois deux, couches fois deux, la pauvre maman commençait amèrement à regretter ses choix.
D'autant que Loïc, égal à lui-même, ne mettait jamais la main à la pâte. Il devint un vieux papi fier de sa progéniture, mais refusant toujours l'idée de s'en occuper.
Et pourtant, fier, y'avait pas de quoi l'être! Comme je m'y attendais, la petite Laura était monstrueuse. On aurait dit qu'elle portait en permanence un masque d'Halloween.
La fête fut gâchée, si elle ne l'était pas déjà, par Charles et par une inconnue qui puaient tous les deux la moufette.
Quelqu'un avait même pissé par terre, et la petite trempait presque dedans.
Leur baraque était devenue une vraie procherie. Les flaques d'urine, les biberons et les assiettes sales traînaient plusieurs jours avant que Clarisse daigne les nettoyer.
Loïc, de son côté, s'était lassé d'être fidèle et draguait ouvertement les midinettes qui passaient par là, ce qui risquait pas de le faire remonter dans l'estime de Charles.
Toute la maisonnée assista malgré elle à ses ébats dans le lit conjugal avec une parfaite inconnue.
Un pervers assista même à la scène.
La réaction de Clarisse ne se fit pas attendre.
La petite estimait avoir droit à un minimum de respect. Elle était quand même la mère de ses enfants, bordel de merde! Pour étayer son propos, elle balança à Loïc une bonne baffe dans le pif.
Cependant, la baffe lui revint dans le nez comme un boomerang. Depuis qu'elle était avec Loïc, Clarisse avait consacré tout son temps à ses enfants et de fait, elle ne connaissait que peu l'homme qui partageait son lit (quand il le partageait pas avec une autre), à part qu'il lui avait raconté des bobards sur sa soit disant fortune.
Ce jour-là, elle apprit donc à ses dépens qu'il était de surcroît violent. Me demandez pas, je sais pas pourquoi le simple fait qu'elle lui mette les doigts dans le nez engendre toute cette fumée.
L'histoire se répétait : Loïc avait été puni pour avoir frappé Kea, mais ça ne l'empêchait pas de recommencer avec Clarisse.
Inutile de préciser qu'à partir de cet instant, le charme était définitivement rompu, si charme il y avait eu au départ ...
Et comble de malheur, sa dernière partie de jambes en l'air avec Loïc qui était déjà, en soi, un mauvais souvenir, promettait de faire virer la vie de Clarisse au cauchemar. Le moment ne pouvait pas être plus mal choisi pour entamer une troisième grossesse.
La maison était sans-dessus-dessous. Les assiettes sales s'accumulaient ...
... et les ordures ménagères qui s'entassaient dehors abritaient des colonies de cafards.
La vie, loin d'être un long fleuve tranquille, s'avérait plutôt être une sacrée douche froide.
Les disputes dans le couple étaient devenues monnaie courante.
" DE QUEL DROIT TU TE PERMETS DE ME CRITIQUER??? Hurlait Loïc. TOI T'AS JAMAIS EU AUCUN TRAVAIL, AUCUNE RESPONSABILITE!!!
- PAS DE RESPONSABILITE??? TU RIGOLES??? J'AI ELEVE DEUX ENFANTS TOUTE SEULE, vociférait Clarisse. SANS MOI CES GOSSES N'AURAIENT AUCUN AVENIR!!!"
Ce soir-là Clarisse, enceinte jusqu'aux yeux, en avait plein le dos. Ces disputes la fatiguaient toujours énormément. Elle décida sur un coup de tête qu'après tout si Loïc, cette grosse feignasse, voulait manger, il n'avait qu'à sortir ses pâtisseries du four lui-même.
Dix minutes plus tard, comme elle s'y était attendu, le four prit feu. Clarisse, impassible, laissa son compagnon lutter seul contre les flammes.
"APPELLE LES POMPIERS!!!" aboya Loïc. Mais Clarisse ne bougea pas.
Puis ce fut terminé. Terminées les disputes, envolés les mensonges, les tromperies, les gifles. Le feu avait définitivement et irrémédiablement (à moins que quelqu'un ait le mauvais goût d'utiliser le résurrectomitron) emporté Loïc.
La seule à en être chagrinée, c'était Laura.
La petite grandit très mal.
Ce même jour funeste, le bébé décida de pointer son nez. Roméo, alerté par les hurlements de Loïc qui, avant de trépasser, s'était égosillé à en réveiller les morts, assista à la naissance.
Trouvant le spectacle peu digne d'intérêt, il poursuivit son errance. Le bébé fut prénommé Maxime.
La famille demanda à être présente pour l'enterrement, mais Clarisse refusa. Qu'ils aillent se faire voir, ces sales bourges égocentriques! Ils l'avaient su, eux, à quoi elle s'était exposée en emménageant avec Loïc. Et aucun d'eux n'était venu la mettre en garde, lui dire que ce sim-là était peu fréquentable et qu'elle ferait mieux de passer son chemin. Et que c'était une très mauvaise idée de faire des enfants avec lui. Ils l'avaient su et ils n'avaient rien dit.
Pour toutes funérailles, Loïc eut donc droit à des huées et à des coups de pieds dans sa stèle.
Après sa mort, la situation s'arrangea pas tellement. Au contraire, bizarrement, ça ne fit qu'empirer. Charles passait son temps à se battre avec son ami imaginaire ...
... et Clarisse, atteinte d'une forte fièvre, crachait la vie par ses poumons. Rien d'étonnant à cela : le jardin était devenu un dépôtoir géant où les cafards régnaient en maîtres.
Les deux adultes de la maison étant incapables de s'occuper des plus jeunes, ceux-ci criaient famine, le bébé n'était jamais changé et Laura était elle aussi tombée malade.
L'assitante sociale finit donc, sans surprise, par débarquer.
Elle trouva Clarisse évanouie, baignant dans son urine et empestant la sueur. Comme si elle avait passé une nuit un peu trop arrosée.
Ni une, ni deux, l'assistante sociale embarqua les trois enfants ...
... et partit sans même appeler les secours pour Clarisse, inconsciente et brûlante de fièvre, persuadée que la jeune femme était juste bourrée comme un coing.
Le soir-même, alors que Clarisse gisait toujours dehors, Charles croisa la mort en plein milieu de la cuisine.
Aline, notre ancienne sorcière, trouva très amusant de le terroriser alors que ses besoins étaient au plus bas (il était, entre autre, exténué et affamé).
Après une telle frayeur, le jeune homme chercha fébrilement son pouls et ne le trouva pas.
Clarisse, réveillée par son hurlement de terreur, arriva juste à temps pour le voir s'endormir, lui, d'un sommeil dont il ne se réveillerait pas.
" Dix ans de cette vie ont suffi, à la changer en ..." en mamie à vrai dire. Clarisse avait le visage creusé et des ridules barraient son front. Elle décida qu'il était temps de quitter ces lieus maudits. Elle était la seule à avoir été à peu près épargnée par le sort, et elle ne comptait pas attendre qu'il se décide à l'emporter elle aussi.
Elle envoya les tombes, dont celle de Loïc, aux vertes pelouses Gauthier sans autre cérémonie, fit ses valises, rendit les clés à Mathieu et disparut.
Au regard des drames qui s'y étaient déroulés, Mathieu n'avait pas le coeur à garder cette maison. Un membre de sa famille avait vécu là, juste de l'autre côté de la rue, avec une femme et des enfants innocents qui avaient subi ses mauvais traitements pendant des années. Et personne n'était intervenu. Ils avaient préféré fermer les yeux (et le nez) devant les tas d'ordures, se boucher les oreilles pour ne pas entendre les cris. En agissant comme des témoins silencieux, c'était comme s'ils avaient eux-mêmes tendu sa faux à la Mort. Mathieu, d'ordinaire très radin, fit entièrement raser la maison, et tant pis pour les 200 000 simflouzes qu'elle représentait. C'était là le prix de la culpabilité.
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